L’étymologie : le sens véritable d’écouter
Au commencement était le verbe ....
« Ecouter, c’est s’appliquer à entendre, prêter son attention à ». Quelques mots de définition (Petit Robert) et déjà, "on sent" la magie du verbe qui commence à opérer. Celle-ci nous prend par la main, doucement, au gré de notre volonté de recherche. Appliquer, s’appliquer, entendre, prêter, l’attention ; ces petits moteurs du langage, nous invitent au voyage.
Commençons donc par le sens véritable du mot écouter, autrement dit son étymologie. Ce verbe vient d’une racine indo-européenne signifiant "oreille", « ous » en grec, « aus » en latin, donnant le diminutif « auricula », "lobe de l’oreille" et le bas latin « auricularis » "qui concerne l’oreille". Le dérivé « auscultare » prend le sens de "écouter avec attention". Vous vous en doutez, il donne plus tard "examiner", "ausculter".
L’écoute, une volonté de soigner ?
Ausculter, c’est écouter un corps pour pouvoir dresser un diagnostic. Diagnostiquer, c’est déterminer une maladie d’après ses symptômes, terme issu de la sémiologie (étude des signes). Faut-il comprendre par-là que l’un des rôles fondamentaux de l’écoute est de vouloir soigner l’autre ? Le libérer de ses maux (par ses mots !). Les psychologues et autres psychanalystes savent que l’on peut libérer par l’écoute. Encore faut-il posséder certaines clés pour redonner des bases solides, une direction ; car aider quelqu’un à se libérer c’est bien, mais pour aller où ?
Et se libérer de quoi ?
En vérité, l’écoute réelle, profonde, nécessite une certaine volonté de la part des deux protagonistes, du dialogue afin que le verbe (Logos) puisse transfuser d’un individu à travers (dia) l’autre. Seule l’écoute (en marine, l’écoute est un cordage servant à orienter une voile et à l’amarrer à son coin inférieur sous le vent, qui est le point d’écoute) va permettre d’aspirer aux autres, de border la voile du Verbe afin d’avancer vers son prochain.
Une des clés pour comprendre l’autre : l’empathie
L’écoute de l’autre nécessite de franchir des barrières pour pénétrer à l’aide de clés dans la compréhension de l’être qui nous fait face. Il faut tirer son "portrait", décoder des signes, produire le diagnostic de l’interlocuteur. Autrement dit en jouant avec les composants de ces deux mots ; au travers (dia) de la connaissance (gnose) des petits gestes, des petites habitudes, des schémas qui se répètent (tic), il doit être possible de "saisir pleinement" son compagnon par la parole (locut) qui circule entre (inter) écoutant et écouté. C’est le mouvement de la vie, la circulation du Verbe !

Revenons maintenant plus sagement aux mots de la définition de départ. Pour écouter le congénère (celui avec qui l’on doit se générer), force est de s’y "appliquer", c’est-à-dire suivant la définition de ce mot tirée du Petit Robert, « de le recouvrir, d’y adhérer pour y laisser une empreinte » Epouser la forme de l’autre, se mettre à sa place constitue l’une des bases de la psychologie de bon sens, donc de l’écoute. Cette faculté de s’identifier à quelqu’un, de ressentir ce qu’il ressent, s’appelle l’empathie. Cette notion fait partie de ces concepts de la psychologie qui prend maintenant en compte "l’intelligence émotionnelle" des individus. Avoir de l’oreille, un œil attentif et une sensibilité affûtée pour percevoir les notes et les accords émotionnels qui sont inscrits dans les paroles et les gestes des gens, une inflexion éloquente, un changement de position ou un tremblement. En communication, il est généralement admis que 70 à 90% des messages traduisant des affects, sont non verbaux (nuances dans le ton de la voix, irritation traduite par la rapidité des gestes, mouvement d’un sourcil …).
L’empathie repose aussi sur la conscience de soi ; plus nous sommes sensibles à nos propres émotions, mieux nous réussissons à déchiffrer celles des autres.
Par exemple, si d’aventure nous faisions des remarques que nous considérons utiles par envie de « soigner », après avoir "ausculté" notre interlocuteur, nous nous devons d’être vigilants, d’être attentifs à la moindre de ses réactions. Une observation des messages non-verbaux permet ainsi de saisir au vol une expression du visage, un mouvement particulier, un changement de couleur de la peau, etc. Tous ces signes sont des indicateurs qu’il se passe quelque chose pour la personne bien qu’elle ne s’exprime pas verbalement. Ils nous permettent de sentir comment nos paroles ont été perçues, et d’adapter par la suite notre stratégie, notre manière de dire.
Ceux qui n’ont aucune idée de ce qu’ils ressentent eux-mêmes et sont totalement incapables de comprendre ce que ressentent les autres, sont déconcertés par leurs propres sentiments et le sont tout autant par ceux des autres. Cette incapacité à percevoir les sentiments d’autrui est un handicap à l’écoute. Dans toute relation humaine, la bienveillance, l’affection trouvent leurs origines dans l’harmonie avec autrui, l’aptitude à l’empathie.
L’empathie peut mener à la compréhension de l’opinion que l’autre veut soutenir, mais fusionner avec lui, se dire que c’est maintenant nous-mêmes qui possédons l’opinion de l’autre et chercher alors tous les arguments pour la défendre est un piège qui peut mener au syndrome de Stockholm (soutenir les opinions de ses tortionnaires) ou a minima à la partialité !
Le dernier mot de la définition : l’attention
Nous venons de voir qu’il faut bien "s’appliquer" à écouter et "prêter" (ce qui suppose un retour !) "attention" pour reprendre là encore les termes de la définition initiale. L’attention, toujours selon le Petit Robert est dans ce cas une disposition à la prévenance, aux soins attentifs envers quelqu’un mais c’est aussi une concentration de l’activité mentale sur un objet (ici nous dirions sujet) déterminé.
L’ « attention » nous renvoie donc à cette notion primordiale : l’importance de toutes les petites attentions que l’on peut avoir les uns envers les autres. Pour s’entendre, ouvrons les portes de notre cœur. Sachons aller à la rencontre de l’autre en tendant l’oreille comme on lui aurait tendu la main. Avons-nous toujours l’oreille "tendue" lorsque quelqu’un s’adresse à nous ?

Ecouter, prêter attention , c’est encore nous concentrer sur ce qu’est l’autre et abandonner un temps ce que nous sommes pour ne pas interférer dans son discours. Sommes nous prêts, préparés, à l’intimité avec l’autre ? Sommes nous prêts à être vrais ?
L’écoute : une fécondation mutuelle
Finalement, il est possible de dire que la véritable écoute, c’est littéralement se laisser pénétrer par l’autre, donc être ouvert, lâcher prise, accepter de se livrer. S’affranchir de ses a priori et de ses peurs pour entrer dans le cadre d’une relation franche.
Accepter les vibrations du verbe de l’autre. Les faire siennes pour un temps même si cela peut créer un certain malaise au départ. La société moderne rend en effet méfiant et pudique. Il existe une peur du sentiment vrai, de la sincérité ; s’ouvrir ?! Se laisser pénétrer ? Quelle horreur ! Que de masques à faire tomber !
N’avez-vous jamais remarqué la dérision, les sourires gênés que provoque parfois une personne qui se met à parler avec son cœur et ses émotions en public ? Les sentiments sont hélas souvent considérés comme une faiblesse alors qu’ils recèlent, à l’instar des mots, une puissance surprenante !
S’écouter mutuellement amène à être alors « imprégnés » de nos interlocuteurs. Ce mot aussi contient des clés.
Imprégner, c’est pénétrer un corps de liquide dans toutes ses parties. Le fluide du Verbe permet aux êtres de s’interpénétrer afin de se féconder mutuellement, au même titre que toutes les régulations homéostatiques du corps sont le fait de l’élément liquide. Si les hommes se "branchent", ils peuvent être les garants, les acteurs de la cohésion du corps social grâce à ces phénomènes régulateurs des comportements que l’on nomme l’amour (agapê en grec) et le respect.
Ecouter, communiquer, échanger, c’est donc aller dans l’enceinte de l’autre. Mais attention, l’enceinte est parfois bien gardée par un chevalier redoutable : l’attachement à l’ego et au savoir dogmatique. Celui qui écoute est lui aussi susceptible de cet attachement … écoute t-il alors vraiment ou entend-il à travers les murs de son château fort, ou grâce à quelques mâchicoulis ?
L’écoute semble bien être une médecine de réciprocité utilisant le Verbe circulant (le dialogue) et le sens de la psychologie. Chacun peut devenir le « psychologue de cœur » de l’autre pour l’aider à faire sauter certains verrous (vers où ?) et lui permettre ainsi d’aller dans une direction, donc d’aller mieux.
Comprendre
A nouveau, prenons notre dictionnaire : deux sens nous sont offerts, l’un nous propose de « contenir en soi » et l’autre « d’appréhender par la connaissance ». Pascal nous les fait comprendre ! « par l’espace, l’univers me comprend (sens 1) et m’engloutit ; par la pensée je le comprends. (sens 2) ». Que dire de plus ! en tant qu’écoutant je ne peux que faire les deux à la fois ! contenir en moi, pour quelques instants au niveau émotionnel, ce qui vient d’être dit et par un subtil mouvement vers mon cerveau évolué, être capable de faire correspondre à cet état une idée claire. Je viens de donner du sens à ce que j’ai entendu. Je peux me dire que j’ai compris si l’autre confirme qu’il a été compris ! Mais attention ! comprendre l’autre ne signifie pas nécessairement être d’accord avec lui. Il peut être utile de le préciser à notre interlocuteur !
Ainsi nous pourrons cheminer, créer un espace intime qui permet alors à l’élan de Vie de rejaillir si l’être que l’on a écouté était en panne sur son chemin . C’est aussi par l’écoute que l’on peut créer un espace émotionnel avec les autres , ceux que l’on a choisi pour nous soutenir lors d’un passage, un seuil à franchir et qui vont ritualiser avec nous ce moment exceptionnel .